L'industrie textile européenne peut-elle être re-localisée ?
03.01.2023
Alberto Bailin Co-founder of Lienzo
Image by Pawel Czerwinksi
Il est bien connu que l'industrie de la mode et du textile produit des désastres environnementaux et sociaux. En Europe, la consommation de textile représente la quatrième source d’impact sur l’environnement et le changement climatique, après l’alimentation, le logement et les transports (1). C’est aussi le troisième secteur pour la consommation d’eau et l’utilisation des sols, et le cinquième pour l’utilisation de matières premières primaires et les émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, les conditions de travail et de santé, au départ de la chaîne de production des travailleurs, et surtout des travailleuses car ce sont principalement des femmes et des filles sont également désastreuses.
En raison de tout cela, en mars 2022, la commission européenne a enfin publié une stratégie pour des textiles plus durables et circulaires. Les objectifs principaux de cette stratégie sont:
fixer des exigences de conception pour les textiles afin qu’ils durent plus longtemps et soient plus faciles à réparer et à recycler;
introduire un étiquetage plus clair sur les textiles et un passeport numérique pour les produits;
donner aux consommateurs les moyens d’agir et lutter contre le greenwashing en garantissant l’exactitude des allégations environnementales des entreprises;
mettre un terme à la surproduction et à la surconsommation et décourager la destruction des textiles invendus ou retournés;
harmoniser les règles en matière de responsabilité élargie des producteurs dans l’UE, ainsi que les incitations économiques pour rendre les produits textiles plus durables;
agir contre le rejet non-intentionnel de microplastiques par les textiles synthétiques;
Toutes ces mesures invitent les entreprises à reconsidérer leurs modèles de production existants. Pourtant, il serait mieux pour une entreprise de mode de suivre tous ses fournisseurs et d'être ainsi en mesure de fournir ces informations de traçabilité aux consommateurs, plus ses fournisseurs sont proches. Cet élément est particulièrement pertinent en vue du contexte législatif actuel, et en considérant que les consommateurs sont actuellement de plus en soucieux des enjeux sociaux et environnementaux liés à cette démarche circulaire.
Pendant ces dernières années, en raison de la nouvelle stratégie textile européenne et en partie aussi en raison de la pandémie du covid 19, la relocalisation de l’industrie textile et de l’habillement gagne du terrain.
Pour illustrer ce que nous venons de dire, nous allons voir dans les paragraphes suivants des exemples d'entreprises qui ont pris des mesures en faveur de la relocalisation textile. Ces modèles circulaires incluent le développement de filières locales, l’éco conception, la réduction de la production, parmi autres. Voici quelques-uns des projets les plus récents réalisés en France.
Fashion Cube, une marque peut-être moins connue mais qui comprend des marques très renommées comme Jules ou Pimkie vient de finaliser une relocalisation impressionnante. Ce projet, sous le nom de Fashion Cube Denim Center, ouvre ses portes à Neuville-en-Ferrain, dans le département du Nord (59). Ce projet va permettre la création de plus d’une centaine d’emplois sur les 3 prochaines années. L’usine va produire plus de 400 000 jeans par an à des prix très intéressants pour du Made In France, de 40 à 60€ (2).
Kiplay, marque connue pour les vêtements professionnels, est allée encore plus loin avec un projet baptisé Retour aux Sources. La firme normande poursuit ainsi son déménagement progressif vers sa propre usine à Saint-Pierre-d'Entremont (61) dans l'Orne. Outre la relocalisation de la base de production de vêtements de travail, elle délocalisera également des services connexes tels que la personnalisation et le recyclage grâce à des investissements dans des parcs de machines.
L’atelier d’Ariane spécialiste des textiles techniques et de luxe, réalisait l'essentiel de sa production en Chine, comme tant d'autres marques au cours des dernières décennies. Néanmoins, ce n'est plus tout à fait vrai, car le territoire national est sur le point de faire un retour remarquable avec une toute nouvelle usine super-robotisée. Une usine à Troyes, Aube (10), coûtant plus de 5 millions d'euros. Le déménagement créera des emplois et sécurisera le savoir-faire. De plus, L'Atelier d'Ariane envisage même de mettre en place une école pour mieux former ses employés.
Nous conclurons en disant que plus qu’un retour de filières entières sur le sol français, le scénario le plus probable que nous envisageons est celui du double sourcing : se fournir et produire à moitié en France, à moitié à l’étranger. Comme l’a dit Olivier Lluansi, délégué aux Territoires d’industrie auprès de la Direction générale des entreprises, dans Les Échos: « on ne peut pas tout relocaliser. Il existe des industries mondiales, tirées par le coût de production. On ne pourra pas changer ça du jour au lendemain”.
Néanmoins, en rélocalisant certains aspects de la production de textiles et de vêtements, nous créons des clusters régionaux, nous récupérons des compétences qui semblaient perdues et nous permettons aux entreprises de contrôler plus facilement leurs chaînes de valeur, en facilitant la collecte de données de traçabilité et en augmentant la transparence pour les consommateurs.
Sources:
(1) Commission européenne, 2022: “Stratégie de l’UE pour des textiles durables et circulaires”
(2) Industrie textile et habillement, 2021 : Quels sont les derniers projets de relocalisation en France ?
(3) https://environment.ec.europa.eu/strategy/textiles-strategy_fr
(4) https://francemasai.ecolo.be/relocaliser-lindustrie-du-textile-et-de-la-mode/
(6) https://www.modeintextile.fr/europe-strategie-textiles-durables/
(8) https://www.textile-valley.fr/textile-valley-lindustrie-textile-veut-relocaliser-sa-production/